La légende de Nulpar le pointu - octobre 2018
Entre deux massifs verts serpentait une couze
Creusant une gorge de ses flots bouillonnants
Pas très loin de Courgoul vivait une Andalouse
Dont mon père croisa le sourire charmant
Cette fille superbe, il la prit comme épouse
C’est ainsi que naquit un garçon turbulent
Plongeant dans l’abreuvoir ou roulant dans la bouse
Un petit garnement qu’on appela Vincent
Un beau soir sur l’alpage on y planta un pin
Qui grandit tellement qu’il servit de repère
Aux randonneurs perdus en quête du chemin
C’est Nulpar le pointu, comme il disait mon père
Et puis Nulpar poussa, on le voyait d’partout
De sa cime hautaine, il oscillait au vent
Nulpar était puissant, et il dominait tout
Mon père en était fier, il en parlait tout l’temps
Il voulait qu’il s’élève et qu’il devienne vieux
Il voulait que sa cime, titanesque tribune
Tel un feu d’artifice, envahisse les cieux
Défiant le soleil, et caressant la lune
Quand ma mère mourut, un matin de printemps
Nulpar la recouvrit, de sa voilure verte
La peste l’emporta, elle n’avait que trente ans
Au pré on l’enterra, de roses recouverte
Le lendemain le vent souffla dans la vallée
La tornade attrapa la tête du géant
La secouât tellement qu’elle fut arrachée
Puis acheva Nulpar d’un éclair foudroyant
Mon père ne pleura pas, il saisit sa cognée
En deux jours débita, chaque bras du titan
De la racine nue, il en fit du papier
Et du tronc colossal, en fit un monument
Il m’emmena bien loin, batailler en Russie
Fuyant la maladie, il lui choisit la guerre
Jamais il ne revint, il y perdit la vie
Toutes les nuits depuis, je rêve de mon père
J’ai vécu dans l’armée, connu les pires guerres
J’ai écrit tous les jours, depuis que la mitraille
Un jour de février, m’a enlevé mon père
J’ai pleuré tous les jours, je n’étais pas de taille
Ce choix de s'en aller aux confins de la terre
Enterrer le passé ne change pas l'histoire
Ce souvenir voilé n'est plus qu'une prière
Qui s'endort à jamais sur papier de Nulpar