Le Loup Blanc et la Libellule - GF Spencer - 4/2018
Il y a très longtemps, en forêt de Brocéliande, vint un grand loup blanc des steppes du Nord. Ayant traversé toute l’Europe pour se retrouver là, il fit le choix de se reposer quelques jours avant de repartir en quête d’une compagne. Il repéra une petite grotte et en fit une tanière de fortune.
Un peu plus tard, tandis qu’il humait l’air ambiant, Rama discerna une odeur qui lui était inconnue.
De nature curieuse, il se mit en quête de la source de ces effluves.
Au bord d’un lac, il trouva une plante aux fleurs bleutées. Fasciné par sa beauté, il resta là, à l’observer des heures durant.
Il y revint chaque jour, s’y rendant dès l’aube et occupant ses journées à se délecter de son parfum. Une nuit de pleine lune, il décida de ne plus la quitter.
Enivré par les senteurs de ses pétales, il finit par s’endormir à son pied.
Une louve blanche qui passait par là fut émue de la scène. N’osant trop s’approcher, elle envoya quelques petits cailloux en direction de Rama. Mais celui-ci ne réagit pas. Alertée par le bruit, la Dame du Lac vint s’enquérir du problème.
- Qui va là ? s’écria-t-elle.
- Je suis Akeelah. J’essaie de réveiller ce beau prince des forêts.
- Eh bien, n’essayez plus. Vous réveillez tout le monde. Vous voyez bien qu’il est sous le charme.
- Charme ? Mais quel charme ?
- Cette Amaryllis l’a ensorcelé. Il ne pourra pas s’en sortir. Seules ses fleurs bleues pourront encore lui plaire, désormais. Il vous faudra chercher un autre compagnon, jolie louve.
- Mais il est le dernier loup blanc. N’y a-t-il aucun moyen ?
- Eh bien, si, il y en a un ! Devenez une fleur bleue, parbleu. C’est pourtant si simple ! ajouta-t-elle d’un air moqueur.
Jugeant la conversation terminée, la Dame du Lac disparut sous la surface de l’eau.
- Me changer en une fleur pour un loup ? Ça, jamais ! S’il me veut, il n’aura qu’à venir me chercher.
Elle s’éloigna et laissa Rama et son envoûtement.
La Dame du Lac ayant observé la scène se vexa de cette indifférence et, comprenant qu’elle-même en était la cause, envoya une petite fée s’occuper de la malheureuse.
La fadette découvrit la louve blanche au milieu des bois et fut émerveillée par son élégance. Très vite cependant, l’inquiétude la gagna, car les larmes de désespoir d’Akeelah n’en finissaient pas de couler.
- Je suis une fée, et je viens de la part de la Dame du Lac.
- Allez au diable, vous et votre Dame du Lac. Mon prince est enfermé dans un sort maléfique. Plus une louve ne pourra l’approcher, maintenant.
- Une louve, non, mais une fleur bleue…
- Une fleur bleue ? Comment pourrais-je le suivre, si je ne suis qu’une fleur.
- La fadette réfléchit quelques secondes.
- Vous n’avez pas tort. Une fleur ne peut se déplacer.
- Évidemment, et qui me dit qu’il n’en choisira pas une autre, au parfum plus délicat, dès que j’aurai le dos tourné ?
- Vous avez raison, il y a sujet à inquiétude...
Cette nuit-là, la fadette regroupa ses semblables autour du dolmen. Les flammes d’un grand feu brillèrent toute la nuit. Les discussions furent très vives, deux camps s’étant formés au sein des fadettes de Brocéliande. Le calme revint enfin tandis que le soleil pointait ses premiers rayons.
Rama, toujours allongé sur la berge, n’avait aucune envie de s’en aller. Baignant dans son nuage parfumé, il se prélassait, se disant que la vie à cet endroit était des plus idylliques et qu’il n’avait plus la moindre envie de s’en aller. Même la quête de nourriture ne le motivait plus.
Soudain apparut une autre fleur bleue à quelques centimètres de son museau. Dotée de quatre ailes, elle se déplaçait, lui envoyant par intermittence des effluves parfumés. Surpris par cette présence, Rama, accaparé par ce nouvel être bleuté au regard hypnotique, se redressa et décida de la suivre.
Ayant réussi à l’attirer loin dans la forêt, elle parvint à briser le charme qui le retenait près du lac.
C’est ainsi que naquit la première libellule. On dit depuis lors qu’elles ont le pouvoir de nous attirer loin des chemins, et qu’elles parlent encore le langage des loups blancs des steppes du Nord. Et pour ce qui est de leur parfum, elles ne le dévoilent plus qu’à ceux qui, au plus profond de leur conscience, continuent à croire à cette histoire.