L’Agneau et la Coccinelle - GF Spencer - 12/2017
Il était une fois une ferme, dans un village de montagne, où vivait Ivan, un berger. Un jour vint un loup affamé qui s’en prit sans vergogne au troupeau. Tanos, l’agneau réussit à s’enfuir, mais, pourchassé, se précipita dans le grand champ de blé du voisin, ce qui le sauva.
Le calme revenu, Tanos se dit qu’il était peut-être plus prudent de rester quelque temps à l’abri et que ce blé pourrait remplacer le lait qu’il recevait chaque jour de sa mère la brebis.
Il tenta l’expérience et trouva les épis à son goût.
Quelques jours plus tard, alors qu’il broutait allègrement, il tomba sur Lana, une coccinelle.
⁃ Holà, grande bestiole, lui dit Lana. Tu as failli m’avaler. Tu n’es pas chez toi, ici. Je te reconnais, tu es de la prairie. Va donc rejoindre les tiens!
Sourd aux commentaires de Lana, Tanos continua son chemin.
Comprenant qu’il était en train de détruire une partie de son territoire, Lana s’envola et vint se poser sur Tanos. Très surprise par la douceur de sa laine, il lui vint une idée. S’approchant de son oreille pendante, elle la souleva et se mit à crier.
⁃ Eh, toi! Tu m’entends?
Tanos se retourna, se demandant qui l’appelait ainsi. Pris d’un chatouillement soudain, il se gratta et fit tomber Lana sur le sol, juste devant son museau.
Curieux, Tanos s’avança.
⁃ Arrête, tu vas m’écraser, si tu continues!
⁃ Mais, qui es-tu?
⁃ Je suis Lana, et je vis dans ce champ. Et toi, que fais-tu là?
⁃ Je suis désolé, c’est le loup qui m’oblige à me cacher ici.
⁃ Je comprends, mais tu vas manger tout ce blé?
⁃ Je n’ai pas vraiment le choix. Il n’y a pas grand-chose d’autre.
⁃ Écoute, si tu me laisses rester un peu dans ta fourrure, je peux te montrer où trouver de l’herbe bien verte, beaucoup plus adaptée aux agneaux.
⁃ Eh bien, oui, pourquoi pas?
Lana lui fit voir les graminées et les coquelicots qui poussaient en bordure du champ. Pendant que Tanos broutait, elle surveillait les alentours. Lana profita de cette position durant tout l’été, se nourrissant des puces et des pucerons qui proliféraient dans l’épais pelage.
Un matin, ils furent surpris par le fermier qui venait moissonner. Tanos dût s’enfuir, mais fut rapidement rattrapé par les chiens.
Devant cet amas de poils dont dépassaient à peine quatre pattes, Ivan entreprit de le tondre. Il jeta ensuite la toison dans une bassine, qu’il commença à remplir d’eau. Lana réussit à se sauver in extremis. Voyant son compagnon disparaître, elle se mit à crier. Tanos! Tanos! Sort de là! Vite! Tu vas te noyer!
Bien sûr, l’agneau ne sortit jamais et Lana pleura son ami perdu pendant plusieurs jours.
Lorsqu’Ivan revint, elle était encore là, posée sur le robinet. Elle le regarda faire quand il pendit Tanos à un fil, le laissant se balancer au gré du vent. D’un battement d’ailes, elle se lança et vint se blottir au milieu de la chaude fourrure, ayant décidé de ne plus jamais le quitter.
Réveillée en sursaut, elle se retrouva emprisonnée dans une manne. Mais peu lui importait, son seul désir étant de profiter des dernières chaleurs de Tanos.
Une semaine plus tard, quelqu’un ouvrit le panier et arracha peu à peu des portions de laine. Lana s’échappa de justesse et alla se poser sur un rideau.
Pendant de longues minutes, elle regarda cette dame qui, à l’aide d’une roue de bois, fabriquait du fil et l’enroulait en grosses pelotes au centre desquelles se formait un trou.
Dès qu’elle eut le dos tourné, Lana vint se cacher dans un de ces orifices et, reconnaissant l’odeur de son ami, s’y trouva fort bien.
Quelques jours plus tard, la boule dans laquelle elle se trouvait se mit à tournoyer. Lana s’envola à nouveau et se posa sur le rebord de la fenêtre. Elle vit que toutes les pelotes avaient disparu, et qu’à leur place gisait désormais une sorte de tapis à deux bras, formé de brins entremêlés.
À la nuit tombante, la dame s’effaça dans une pièce voisine. Tanos ayant presque complètement disparu, Lana chercha une solution afin d’arrêter ce massacre…
Le lendemain matin, quand l'ouvrière réapparut, le pull s’était envolé, remplacé par les dix boules qu’elle avait filées deux jours plus tôt.
Sans attendre, elle se rendit chez le berger et lui raconta cette histoire. La croyant devenue folle, Ivan échangea sans broncher la laine contre une quantité double, et posa les dix pelotes sur l’étagère.
Durant les mois qui suivent, Ivan vendit douze fois ces boules de laine. Et douze fois, elles lui furent retournées. Il n’y comprenait plus rien. Pensant qu’elles lui portaient malheur, il décida de les jeter sur le tas de fumier.
Depuis ce jour, toutes les nuits, Lana et Tanos se retrouvent. Et racontent leur histoire aux oiseaux qui viennent chercher les bouts de laines pour en tapisser leur nid.
Quand ils veulent bien l’écouter jusqu'au bout, Lana leur dit souvent…
- Rappelez-vous que ce petit bout de laine contient tellement d’amour qu’il vous tiendra bien au chaud pour le reste du printemps...
Photo de Sophinette (ZAM)